Les espèces invasives, tout comme la destruction des habitats naturels, les pollutions ou la surexploitation des ressources, sont reconnues comme étant une des pressions majeures qui s’exercent sur les écosystèmes. Le changement climatique, favorisant la prolifération de certaines espèces, est également à l’origine de bouleversements rapides et profonds dans la structure des communautés vivantes et s'ajoute à ces préoccupations.
La pression des invasions se traduit aussi en termes d’impact sur les usages et sur la santé avec des répercussions économiques quelquefois très significatives. En outre, avec l’accroissement des échanges internationaux, les introductions volontaires ou accidentelles d’espèces exotiques se sont accélérées beaucoup plus rapidement que les avancées des connaissances scientifiques. Pourtant ces progrès sont indispensables à la mise en place d’outils efficaces de gestion, qu’il s’agisse de connaissances sur les déterminismes des invasions biologiques, de leurs impacts et de leurs moyens de contrôle.
Face à ces enjeux, la Commission européenne rédige actuellement la trame d’une stratégie européenne relative aux espèces envahissantes. En France, pour faire suite au Grenelle Environnement, et dans le cadre plus général de la Stratégie nationale de la biodiversité, se prépare une stratégie nationale de prévention et de lutte contre les espèces exotiques envahissantes reconnues pour avoir un impact négatif sur la biodiversité sauvage.
Cette stratégie comprendra plusieurs volets : un volet réglementaire, la mise en place d’un système de surveillance et d’alerte, des plans de lutte contre les espèces les plus menaçantes et des actions de sensibilisation et de communication. Ces dispositions devraient à terme permettre de limiter les introductions et d'augmenter l’efficacité de la gestion des espèces invasives, notamment en facilitant une meilleure organisation et une coordination accrue des actions locales et nationales.
Cette stratégie n’est pas propre aux milieux aquatiques. Mais les écosystèmes aquatiques continentaux sont particulièrement concernés par les invasions biologiques et ils se trouvent être aujourd’hui parmi les milieux les plus envahis au monde ; cela a bien sûr des conséquences en terme de biodiversité mais aussi sur les activités humaines. En Europe, quel gestionnaire ne connait pas les impacts des écrevisses exotiques sur les écrevisses natives, ou les coûts de gestion de la renouée du Japon ? La Directive cadre européenne sur l’eau a d’ailleurs reconnu le rôle des espèces invasives en tant que pression susceptible d’empêcher l’atteinte du bon état écologique des eaux continentales.
Les gestionnaires sont confrontés depuis longtemps sur le terrain aux difficultés engendrées par la présence d’espèces invasives. Ainsi, de nombreuses interventions de gestion ont été mises en œuvre de manière pragmatique, avec trop souvent des échecs à la clef. Cela s’explique en partie par le manque d’information ou de réactivité vis-à-vis des mesures à prendre, mais aussi par le manque d’efficacité de ces interventions de gestion, si elles sont opérées indépendamment les unes des autres ou à une échelle trop locale. C’est donc bien une gestion intégrée qui doit être promue, à la bonne échelle géographique, et en prenant en compte toute la biodiversité et les interactions entre espèces.
Pour aider à mieux faire face à ces enjeux préoccupants, l’Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) et Irstea e sont associés pour créer en 2008 un groupe de travail national sur les « Invasions biologiques en milieu aquatique » (IBMA). Son objectif est de proposer des stratégies d’action pour la gestion des invasions biologiques dans les écosystèmes aquatiques, ainsi que des outils opérationnels à destination des gestionnaires et des décideurs. Le groupe a aussi pour mission de définir des enjeux scientifiques à plus long terme et de contribuer à une expertise nationale, voire internationale, dans le domaine.
Le groupe IBMA joue également le rôle de soutien technique auprès du ministère en charge de l’écologie, dans le cadre de la mise en place de la stratégie nationale. Résolument tourné vers l’opérationnel, le groupe est constitué d’experts d'Irstea et de l’Onema et associe aussi bien des gestionnaires (agences de l’eau, parcs régionaux…), des services de l’État (Direction de l’eau et de la biodiversité du MEEDDTL, DREAL) et des compétences d’expertise scientifique de nombreux établissements de recherche (CNRS, INRA, MNHN, universités). Un séminaire a été organisé en octobre 2010 pour présenter les réflexions et les travaux du groupe IBMA. Ce séminaire a été un moment privilégié d’échange entre les différents acteurs concernés par les espèces invasives en y apportant des éléments scientifiques, techniques, mais aussi socio-économiques.
Ce numéro de la revue Sciences Eaux & Territoires, la revue d'appui et de transfert d'Irstea, est le fruit de ces échanges. Il propose de retracer les différentes discussions autour des enjeux des espèces invasives abordées lors de ce séminaire. Ainsi la revue incarne le support idoine pour porter à la connaissance des professionnels de terrain :
- les bases scientifiques et technologiques utiles pour comprendre les ressorts des proliférations,
- des retours d'expérience mettant en œuvre des méthodes d'évaluation et de lutte,
- des éléments de compréhension et de mise en contexte du point de vue politique, réglementaire et sociologique des invasions biologiques.
Ce numéro participera assurément à la construction d'outils et de mesures de gestion utiles et efficaces.
Nous vous souhaitons une bonne lecture.
Patrick Lavarde, directeur général de l'Onema
Roger Genet, directeur général d'Irstea